Intervention de Noëlle Herrenschmidt, aquarelle reporter
jeudi 28 novembre 2024
Intervention de Noëlle Herrenschmidt, aquarelle reporter le 18 novembre 2024
Le 18 novembre, les élèves de l’option droit et grands enjeux du monde contemporain, les élèves de la préparation Science Po, ainsi que quelques professeurs ont eu le plaisir de recevoir au lycée Madame Noëlle Herrenschmidt, qui se définit elle-même comme aquarelliste-reporter. Elle nous a fait part de son magnifique parcours qu’elle a commencé à l’âge de 31 ans comme dessinatrice à Bayard Presse, avant de franchir les portes d’un tribunal, munie de sa carte de presse, seize ans plus tard.
La découverte du monde judiciaire
Elle assiste tout d’abord au procès Barbie à Lyon en 1987. Plume en main et assise tout près de l’accusé, Noëlle Herrenschmidt croque son portrait à l’encre de Chine pour le journal La Croix. Elle travaille avec un chroniqueur judiciaire qui fait un article tous les soirs après l’audience. La différence avec la tâche de Noëlle Herrenschmidt est que le dessin se fait impérativement tout de suite, sur le vif. Elle comprend alors la nécessité d’ajouter des mots à ses croquis pour indiquer quel instant elle a observé, ce qui est nécessaire pour transmettre l’émotion de façon la plus juste. Son œil et sa main captent ainsi ce qu’aucune caméra ne peut saisir, à savoir des expressions extrêmement subtiles des visages.
Lors de ce procès, elle fait la connaissance du procureur général Pierre Truche, qui se révèle être pour elle un véritable « professeur de droit ». Il lui demande de faire un reportage sur le palais de justice. Elle y passera trois ans. Plongée au cœur de ce monde, elle apprend à connaître toutes les procédures juridiques. Le magistrat Antoine Garapon est à ses côtés pour la guider. Il écrit avec elle les nombreux livres qui ponctuent les étapes de son parcours.
Suit pour le journal Le Monde, le procès Papon, qui déroule pendant sept mois à Bordeaux. Ces mois d’audience aident Noëlle Herrenschmidt à élaborer et à mettre en pratique son métier de reporter- aquarelliste. Sa tâche devient un reportage, c’est-à-dire un travail d’écoute, qui consiste à ne pas juger et à simplement transmettre. C’est pourquoi elle n’étudie jamais les dossiers avant les procès. Elle ne veut pas être influencée par l’avis des journalistes, mais tient à se faire sa propre idée.
Elle découvre alors la couleur qui apporte plus de vie et de nuances émotionnelles à ses dessins. Cela lui permet de raconter à la fois l’audience et les coulisses du procès, de montrer ceux qui y participent, mais aussi ceux qui sont dans l’ombre, de couvrir les différents lieux, jusqu’à la table de délibération du jury.
Pour être un témoin presque invisible, que l’on accepte dans tous les lieux même les plus secrets et inaccessibles, en particulier les lieux de pouvoir et de décision, l’aquarelliste se fait très discrète. Habillée en noir, elle porte un gilet à dix-huit poches. Carnets, pinceaux, taille-crayon, il contient tout ce dont elle a besoin. Elle choisit l’aquarelle, car elle lui permet de peindre vite et sur le vif, sans avoir à retoucher ses dessins. C’est un médium d’une extraordinaire liberté, aussi fluide que la parole. Elle s’écoule, fait des taches, mène sa vie propre.
« toujours respecter la personne que je dessine. Cela permet qu’elle enlève son déguisement. »
De façon étonnante, lors de son procès, pas une fois Papon n’est confondu. Il apparaît comme un bourgeois, qui ne se pense jamais comme un criminel. Noëlle Herrenschmidt a l’autorisation de s’approcher de lui, quand il sort de son jugement. Elle le dessine dans son intimité, en train de lire le journal, apparemment bien portant, portant une chemise rose « cyclamen », selon ses propres paroles. Or peu après son jugement, Papon est libéré pour raisons de santé, mauvaise santé que parait pourtant démentir ce portrait très lisse. Papon semble s’être livré avec confiance à l’aquarelliste. Cette image a en effet pu être saisie par Noëlle Herrenschmidt, car elle a un principe : « toujours respecter la personne que je dessine. Cela permet qu’elle enlève son déguisement. »
L’observation des institutions religieuses et politiques
Elle travaille ensuite pour le Vatican, institution qu’elle trouve particulièrement difficile, voire hostile. Aguerrie par cet univers, elle s’immerge en 2010 pendant trois ans dans le monde de la politique, plus précisément celui de la fabrique de la loi, qu’elle trouve par comparaison beaucoup plus doux. Pinceau à la main, elle suit les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat et elle est présente à la table du Conseil des ministres le mercredi.
Le procès des attentats du 13 novembre 2015 : le partage d’une même humanité
Le dernier procès qu’a couvert Noëlle Herrenschmidt est le procès des attentats du 13 novembre 2015, lequel a duré dix mois. Pendant tout ce temps, les accusés, les victimes, les avocats ont « vécu ensemble », malgré leurs divergences, témoigne l’aquarelliste. Noëlle Herrenschmidt fait des aquarelles de grande ampleur, à la mesure de ce procès exceptionnel par le nombre de victimes et les moyens déployés pour l’enquête et le jugement. Elle y développe alors particulièrement l’usage du blanc. Celui-ci sert à orienter le regard, afin de montrer l’essentiel.
Le blanc souligne la participation active des policiers au procès ainsi que la beauté de la salle d’audience, avec ses statues anciennes. Celles-ci contrastent avec les écrans, très présents lors de ce procès.
Comme ce procès se passe au moment du Covid, tout le monde porte un masque. Aussi Noëlle Herrenschmidt est-elle contrainte d’aller au-delà des apparences. Elle est particulièrement attentive à essayer de repérer l’humanité de ceux qu’elle rencontre, victimes comme accusés. Elle observe ainsi qu’Abdeslam, le principal accusé, qui a été isolé pendant des mois, se comporte d’abord de façon extrêmement violente, au cours des audiences. Puis au mois d’avril alors que le procès entre dans ces dernières semaines, il craque et pleure. Noëlle Herrenschmidt et les sept autres dessinateurs judiciaires, qui sont à quelques centimètres de l’accusé, sont touchés par ces pleurs, derrière lesquels ils ne voient aucune tentative de manipulation. Pour Noëlle Herrenschmidt, la parole de maître Henri Leclerc est très juste : « Derrière tout accusé, vous avez une part d’humanité. »
Noëlle Herrenschmidt fait aussi un usage particulièrement intense du blanc, pour confronter la victime et l’accusé. C’est le cas dans l’aquarelle d’Abdeslam pleurant face aux avocats des parties civiles qui l’interrogent. Et c’est le cas aussi dans cette aquarelle où la femme qui a perdu ses deux filles jumelles se trouve face à face avec Yassine Atar, qui témoigne de sa compassion. Les deux parties apparaissent sur un fond blanc, complètement dépouillé et seuls les visages sont colorés. Noëlle Herrenschmidt donne ainsi toute sa force à l’espace du procès. Celui-ci n’est pas seulement « l’unité de lieu » où se joue le débat contradictoire mais aussi le lieu où peut se rencontrer l’humanité de deux personnes que tout paraissait opposer.
Les hôpitaux et le monde pénitentiaire
Entre 2001 et 2004, au moment du bouleversement qu’ont représenté les trente-cinq heures, Noëlle Herrenschmidt travaille trois ans dans les hôpitaux afin de raconter la vie des malades et des soignants. Discrète et attentive, elle est partout à écouter et à dessiner, dans les chambres de ceux qui souffrent, habillée en stérile au bloc pendant les opérations, avec les infirmiers et les aides-soignants pendant les pauses et les activités quotidiennes.
Elle passe ensuite neuf mois dans le monde pénitentiaire, d’abord à la maison d’arrêt de Fresnes, puis à Clairvaux, prison qui est réservée aux longues peines. Elle partage alors là aussi une commune humanité avec ces prisonniers, qui ont la simplicité d’évoquer avec elle l’odeur des frites de la maison d’arrêt de Fresnes, dont elle se souvient pour avoir mangé ces frites à l’odeur si particulière.
A la question d’une élève : comment avez-vous fait pour supporter toutes ces émotions ? N’était-ce pas trop difficile ? Noëlle Herrenschmidt nous a expliqué que le fait de dessiner sur le vif, de « recracher » ces émotions, lui permettait de ne pas les subir. Par l’aquarelle, elle les extériorise immédiatement en leur donnant forme. Ainsi elle peut s’en libérer. Avec l’humour qui la caractérise, la dessinatrice -reporter s’est comparée au chirurgien qui travaillait et était dans l’action et qui de cette façon supportait la vue du sang, mais qui tombait dans les pommes quand elle lui montrait l’aquarelle qu’elle avait faite pendant l’opération, laquelle représentait un cœur. Dessiner est un travail des émotions, qui nous aide à les vivre.
Merci beaucoup, Madame Herrenschmidt, pour ce beau témoignage.
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